Se libérer de l’anxiété

Elle nous tient éveillés la nuit, nous assomme de pensées obsessives, siphonne notre énergie et notre joie de vivre. Elle gâche même ce qui nous tient le plus à cœur, tout ce qui devrait faire notre bonheur : être parent, faire un métier passionnant, avoir un conjoint aimant, acheter une jolie maison, s’envoler vers le pays de nos rêves, étudier, chanter notre chanson préférée ou peindre un magnifique paysage… c’est l’anxiété, perchée sur notre épaule, qui place devant nos yeux un écran sur lequel passe un film catastrophe, et murmure à notre oreille des interrogations déprimantes. « Est-ce que je vais y arriver ? », « Et si mon conjoint me quittait ? », « Et s’il y avait un accident ? », « Et si je me tournais en ridicule ? », « Et si ma boîte me virait ? ».

On pourrait croire que notre espèce se serait affranchie de la peur, en atteignant un niveau de confort matériel dont les rois antiques ne pouvaient rêver (Crésus lui-même n’avait ni frigo, ni climatiseur, ni airpods). Nos besoins primaires plus ou moins sécurisés, entourés de milliers d’autres humains susceptibles de nous venir en aide en cas de problème, soutenus par des technologies toujours plus incroyables… nous continuons d’avoir peur. Et cette peur, loin de décroître, semble envahir, pour certains, chaque parcelle du quotidien. Une rengaine lancinante, un nœud dans la poitrine ou dans le ventre, un mal-être sous-jacent qui parfois s’exacerbe en crise d’angoisse… tout devient une lutte quand on traîne l’anxiété comme un boulet.

C’est l’être vivant que nous sommes qui redoute toute forme d’insécurité. Notre système d’alarme ne sait plus faire la différence entre le vrai danger (physique, immédiat) et les difficultés ordinaires, parce qu’on n’a plus à fuir de tigres à dents de sabre. Il ne sait pas comment gérer des lendemains incertains, parce qu’il est conçu pour provoquer une action simple et rapide (fuir, attaquer…). Il nous met au pied du mur quand nous sommes impuissants à agir, ce qui nous paralyse, nous empêche de vivre et de retrouver par là même une forme de sérénité. Nous avons peut-être beaucoup à faire, et des situations très sérieuses à gérer. Mais nous n’y arriverons certainement pas mieux si elles nous rongent, nous terrifient, nous réveillent la nuit.

L’anxiété, c’est épuisant. Et plus on s’épuise, moins on est en capacité de la gérer. Alors la première chose à faire, c’est de souffler, se reposer. Mais aussi se mettre en mouvement, se rappeler qu’on est bien vivants. Seulement voilà, on a beau se le dire, ça ne fonctionne pas toujours. Parce qu’on se le dit trop tard, trop durement, trop peu souvent, parce qu’on y croit pas, parce que notre corps ne comprend pas les mots et qu’on a oublié son langage.

Alors il faut réapprendre : réapprendre que les pensées ne sont que du bruit dans notre esprit, réapprendre à respirer, réapprendre ce que veut vraiment dire se reposer (spoiler : ce n’est pas scroller les réseaux sociaux ou regarder des vidéos jusqu’à 1h du matin), réapprendre à poser son attention, à accueillir toutes ces émotions qui tourbillonnent et dont on ne sait que faire, dont on ne veut pas s’occuper parce que c’est du temps perdu, improductif…

Ce n’est pas compliqué, mais ce n’est pas facile. On en a plein la tête, plein les bras, alors quand on rentre chez soi, ou quand les enfants sont enfin couchés, on n’a pas envie de faire face à tout ça. Pourtant, ce n’est pas comme si on pouvait faire l’autruche. Le jour où on craque, où on va voir son médecin pour prendre des anxiolytiques, on commence à payer notre dette envers nous-même. Parfois, on a essayé, vraiment essayé de s’aider, mais on ne savait pas comment faire, et ça a traîné, traîné, jusqu’à nous dévitaliser, parfois au point de nous ôter tout espoir.

Nous ne sommes pas tous égaux : certains sont plus anxieux que d’autres. Mais nous pouvons tous apprendre comment prendre soin de notre corps, de nos émotions, de notre cerveau… À travers des routines et des pratiques dédiées, nous pouvons réaffirmer notre capacité à vivre l’incertitude et à profiter de tout ce qui va bien dans notre vie. Cela demande du temps, des efforts que nous rechignons tous ou presque à fournir… on préfère consommer, produire, courir partout même en rond, plutôt que de se poser avec soi-même ! Pourtant, quelle belle rencontre si on accepte de ne plus se fuir… une autre expérience de la vie est possible. Même dans les difficultés qui s’imposeront à nous tôt ou tard – l’existence n’étant pas un long fleuve tranquille.

Si vous vous sentez mal même quand « tout va bien », il est peut-être temps d’acquérir de nouvelles compétences, certes moins « rentables » que d’autres en apparence, mais vitales à long terme. Cultiver un art de vivre nourri par le savoir des générations qui nous ont précédés à travers la philosophie, la spiritualité ou la psychologie. Une thérapie avec un psychologue est un entraînement plus ou moins intensif à cet art de vivre. Elle n’élimine ni le danger, ni l’incertitude, ni la souffrance, mais recrée un espace dans lequel d’autres graines peuvent germer : la confiance, la détente, la sérénité, la patience, le lâcher-prise… une détermination souple pour naviguer avec fluidité quelle que soit la « météo » du moment. Il ne s’agit pas de se plaindre ni de « se botter le cul » mais bien de découvrir comment prendre en charge, avec bienveillance et responsabilité, notre propre santé mentale. Qui impacte également celle des autres. Ne vous contentez pas de voir votre médecin : renseignez-vous sur les suivis possibles près de chez vous ou même à distance si vous n’avez pas de thérapeute disponible à proximité. Vous vous remercierez certainement un jour de l’avoir fait !