Quand le travail envahit la vie privée

C’est un phénomène qui prend de l’ampleur. Dans sa forme la plus visible – l’irruption du travail dans la vie privée par le biais des nouvelles technologies – il porte même un nom : le « blurring », dérivé du verbe anglais « to blur » (se brouiller, se troubler). Cela signifie que les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle s’estompent. Certains cadres y trouvent le bénéfice d’une aide à la performance dans un contexte d’urgence global où il faut être hyper réactif pour tirer son épingle du jeu. Pour d’autres, ce sera le soulagement, à la veille des vacances, de savoir qu’ils ne perdront pas totalement le contrôle des événements pendant leur absence, et qu’ils pourront intervenir pour éteindre d’éventuels « incendies » même s’ils sont à l’autre bout du monde. D’autres encore sauront trouver leur équilibre de vie grâce au télétravail. Néanmoins, les « effets secondaires » de ce phénomène sont susceptibles d’altérer notre santé et notre qualité de vie ; il est donc bon de savoir repérer ces effets, et réagir en conséquence.

Au niveau intellectuel : quand le travail accapare nos pensées

Notre attention est comme un papillon qui virevolte d’un sujet à l’autre. Dans une société où de multiples sollicitations la réclament à chaque instant, il est bien difficile d’arriver à nous focaliser sur ce que nous sommes en train de faire. Être présent à ce que l’on fait, et à la personne que nous avons éventuellement en face de nous, devient une gageure au lieu d’aller de soi. A quoi pensez-vous le soir ? Êtes-vous concentré sur une conversation avec vos proches, absorbé par un bon livre, laissez-vous dériver vos pensées agréablement ? Ou retournez-vous dans votre tête les événements de la journée, voire ceux du lendemain, en cherchant des solutions aux problèmes que vous n’avez pas encore résolus ? Êtes-vous tenté de consulter vos mails une dernière fois à 21h pour être sûr que tel ou tel interlocuteur a répondu à votre demande, ou de finir à tout prix votre rapport en cours, quitte à éteindre votre ordinateur à minuit ? Prenez conscience de la qualité de l’attention que vous mobilisez dans vos activités personnelles et notez si elle est altérée par l’intrusion du travail dans votre temps libre.

Sachez également que les temps de pause ne sont pas superflus : votre cerveau en a besoin pour fonctionner de manière optimale. S’acharner sur un problème éteint votre créativité à le résoudre. La fatigue diminue vos facultés de raisonnement. Et la dispersion de l’attention ne favorise pas l’efficacité cognitive. En termes de performance, savoir s’arrêter quand il le faut et profiter d’un vrai temps de repos est un atout. Lâchez ce dossier que vous étudiez encore à l’heure de vous coucher alors que vous n’arrivez même plus à vous relire : vous serez plus efficace demain.

Conseils : apprenez à poser votre attention sur le moment présent et à limiter les « tentations » liées au travail lors de vos temps de détente (par exemple, éteignez votre téléphone professionnel et rangez-le hors de vue). Fixez-vous des limites et acceptez le fait que vous ne pouvez pas tout contrôler en permanence…

Au niveau émotionnel : quand le travail nous empêche d’apprécier les bons moments

On ne se défait pas de ses émotions aussi facilement que d’un costume-cravate. En fait, c’est tout le contraire : si vous essayez d’étouffer vos sentiments, vous vous apercevrez vite que les pensées associées reviendront vous envahir avec encore plus de force. C’est ce que l’on appelle « l’effet rebond ». S’exposer aux émotions négatives que peut susciter votre travail, par exemple en prenant l’appel d’un collègue pendant un déjeûner avec des amis, ou en lisant un mail de votre patron juste avant de partir au théâtre avec votre conjoint, affectera la manière dont vous vivrez ces moments. Une critique acerbe, des résultats en berne, un litige non résolu, des sollicitations ou une pression excessives, sont autant de sources potentielles de peur, de colère ou de tristesse qui s’invitent malgré vous dans votre vie. Que vous gardiez vos émotions pour vous, les partagiez ou n’en ayez même pas conscience, il y a peu de chances que vous viviez l’instant comme vous le souhaitiez initialement.

Conseils : Réfléchissez avant de céder à l’impulsion de lire vos mails ou prendre un coup de fil le soir, le week-end ou en vacances : est-ce indispensable ? Si les émotions négatives liée au travail ont tendance à vous envahir, essayez les techniques de gestion des émotions comme la méditation de pleine conscience, qui permet d’accueillir ses ressentis sans en être captif.

Au niveau physique : quand le travail affecte notre santé et notre humeur

Vous êtes chez vous et vous pensez pouvoir enfin vous reposer et vous détendre après avoir replié votre ordinateur portable et/ou éteint votre smartphone pro… Erreur : les effets du stress professionnel ne cessent pas de se faire sentir au moment où vous arrêtez de travailler. Plusieurs heures après, le taux de cortisol (une des hormones du stress) dans votre organisme peut être encore élevé. Et vous vous retrouvez malgré vous en train de… (rayez les mentions inutiles !) :

– crier sur vos enfants parce qu’ils sont encore en train de jouer au lieu de venir bien sagement à table, sans comprendre pourquoi cela vous met dans tous vos états…

– regarder le troisième cornet de glace / le paquet de biscuits vide / le yaourt noyé de sucre que vous tenez entre vos mains, en vous demandant pourquoi vous ne pouvez pas vous empêcher de grignoter malgré des repas consistants…

– chercher le numéro d’une ostéopathe près de chez vous, parce que vous avez mal au dos et vous sentez raide malgré vos séances de gym hebdomadaires…

– tourner et vous retourner dans votre lit en cherchant un sommeil qui vous fuit.

(liste non exhaustive !)

Conseils : Écoutez les signaux que votre corps vous envoie et respectez ses limites. Veillez toujours à préserver du temps pour maintenir une activité physique, avoir une alimentation équilibrée, dormir suffisamment, et pratiquer des activités suscitant chez vous des émotions « positives ». Éventuellement, initiez-vous à des techniques de gestion du stress, apprenez à déléguer davantage, améliorez votre organisation ou envisagez de changer de travail.

Dans tous les cas, si vous êtes en souffrance, ou au bord de l’épuisement professionnel, n’hésitez pas à consulter un psychologue qui vous aidera à prendre du recul et à mieux gérer l’impact de votre travail sur votre vie personnelle.


Crédit image : David Mulder

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